Chute des prix du café : quel avenir pour les producteurs ?
En passant sous le seuil des 100$ par sac, les prix actuels du marché ne permettent pas aux producteurs de café, dans la plupart des pays producteurs, de couvrir leurs coûts de production.
Il s'agit de 25 millions de personnes, dont le niveau de vie est directement impacté par les spéculations de fonds d'investissement, attirés par le profit à réaliser sur l'achat-vente de contrats à terme.
Cette crise silencieuse rappelle celle des années 1990 et des années 2000 qui avaient, en leur temps, plongé des communautés entières dans une spirale de pauvreté durable.
La chute continue des cours depuis 23 mois pousse désormais les producteurs colombiens dans la rue. Il y a malheureusement fort à parier que d'autres pays suivront tant le spectre de la crise est durable.
Nous payons actuellement un prix stable pour nos cafés entre 220$ et 300$, selon le niveau de vie du pays et la qualité du café. Et avec un prix raisonnable pour les consommateurs.
Va-t-on un jour en finir avec ces spéculations sur la vie des paysans ?
Les photos qui illustrent cet article ont été prises en juillet 2018 chez nos partenaires Sol y Café.
Si torréfacteurs comme consommateurs souhaitent continuer à profiter d’un café de qualité et permettre à 25 millions de caféiculteurs de poursuivre leur culture et d’en vivre décemment, ils doivent payer un prix juste.
Une histoire qui se répète
Les indicateurs pointent un contexte similaire aux grandes crises des années 1990 et 2000.
Fin août 2018, le seuil psychologique des 100$ par sac de 45 kg a été franchi à la bourse de New York. Depuis, le cours ne cesse de baisser pour atteindre aujourd’hui 97$. Le spectre d’une crise internationale à moyen terme, comme celle vécue par les producteurs de café dans les années 1990 puis 2000, agite les syndicats de producteurs en Amérique latine.
Le marché du café est la 2ème place de marché après le pétrole. C'est le plus volatile et le plus spéculatif parmi les matières premières agricoles.
Les variations sont féroces depuis la fin de l’Accord International sur le Café (AIC) en 1989 et son système de quotas. A leur suite, les prix ont dévissé dans la décennie 90, entraînant de lourdes conséquences pour 25 millions de producteurs. Le scénario se répète dans les années 2000 où les prix sont tombés au plus bas à 50 $ et sont restés pendant deux années à 70 $.
Considérant une inflation moyenne en dollars de 2 % par an, la cotation actuelle à la bourse de New York à 97 $ par sac équivaut à la cotation des années 2002 et 2003.
Autrement dit, les prix de ce mois de septembre 2018 sont au même niveau qu’il y a 15 ans, au plus fort de la crise.
Des prix décorrélés du marché
Le monde du café s’accorde sur une légère surproduction lors la dernière campagne 2017. Mais celle-ci ne peut, à elle seule, expliquer une baisse drastique des prix. Le léger décalage entre offre et demande intervient en effet après 3 années de marché déficitaire (2014-2017). Les stocks sont au plus bas.
On ne peut que constater une totale déconnection des prix avec l’offre et la demande réelle. Le café fait clairement l’objet de phénomènes spéculatifs.
Au Sud : un séisme pour 25 millions de producteurs
100$ est un symbole alarmant pour tous les caféiculteurs : le cours de bourse est désormais bien en-dessous des coûts de production. Une entreprise qui vend à perte fait faillite. Les producteurs de café, eux, doivent se tourner vers des solutions d’urgence : exode rurale et décapitalisation.
Lorsque le prix à l’export passe sous le seuil des 100$, il ne rémunère définitivement plus la main d’oeuvre familiale.
Pour atteindre le seuil de survie, de 7 à 10$/jour en Colombie ou au Pérou par exemple, un prix de 130 à 135$/sac à l’export est nécessaire.
L’apprentissage des crises précédentes et les constatations sur le terrain auprès des organisations de producteurs avec lesquelles nous travaillons, montrent que les petits producteurs sont contraints de quitter leurs exploitations.
Ils migrent pour aller vendre leur force de travail dans les villes ou les grandes plantations côtières pour subvenir à leurs besoins premiers.
Ils abandonnent ainsi leurs parcelles, négligent l’entretien des arbres et la fertilité de leur système de culture. La production baisse. Il faudra ensuite attendre plusieurs années après la reprise du travail d’entretien des parcelles voire de replantation des arbres, pour retrouver un bon rendement et générer à nouveau des revenus.
Si la crise dure plus d’une année, la famille est plongée dans la pauvreté. C’est une catastrophe pour des millions de producteurs.
Un prix juste pour déguster durablement du café
Le concept de commerce équitable trouve ses fondements dans l’extrême variabilité des années 90. Il propose un modèle alternatif et met en place un prix minimum garanti dans le temps pour protéger les producteurs de la volatilité des prix.
Alors que depuis la fin des quotas en 1989, toutes les tentatives pour surmonter la crise par des mesures politiques ont échoué, le commerce équitable montrera, dans les années 2000, son efficacité.
Il protègera des milliers de producteurs, organisés en coopérative, vendant aux conditions du commerce équitable.
Les études d’impact du commerce équitable de cette époque ont montré que le prix minimum fixé à 119$ (139$ pour le café bio) versus des cours internationaux de 50 à 70$/sac en 2003 et 2004, a permis de limiter largement les effets catastrophiques de la crise pour ces familles.
Par ailleurs, le prix minimum garanti à l’export bénéficiait plus favorablement aux producteurs membres de coopératives, qui exportaient directement. A contrario, les producteurs non organisés ont subi de plein fouet cette crise longue de 5 ans.
Un commerce équitable exigeant pour offrir les conditions d’un café durable
Nous achetons depuis 15 ans du café aux conditions du commerce équitable. Nous travaillons aujourd'hui avec 21 coopératives de petits producteurs de café, principalement en Amérique latine. Notre Scop a pu mesurer l’impact sur le terrain d’un prix rémunérateur et stable pour contrecarrer la pression des cours de bourses et créer des conditions propices au développement économique des producteurs.
Nous payons actuellement nos cafés entre 220$ et 300$/sac
Nous calculons ces prix en prenant en compte le coût de production réel des producteurs, le coût de vie par pays et la qualité du café.
Les 1800 tonnes de café que nous achetons annuellement impactent 27 760 producteurs et leurs familles.
En cette période renouvelée de crise, selon nous, la survie des coopératives de producteurs reposera sur des engagements forts. Dans un contexte spéculatif fort, la durabilité de la production de café offrant les moyens aux petits producteurs de maintenir leur culture et d’en vivre passe par trois engagements forts des acheteurs :
- Un prix rémunérateur. Au-delà des promesses de cafés dits « durables » qui n’ont pas de retombée sur les prix payés aux producteurs, il est primordial d’agir sur les prix en s’engageant sur des seuils minimum objectivement rémunérateurs. Soit un prix minimum garanti efficace, tenant compte des coûts de production et de l’inflation.
- Un prix stable pour construire de façon durable des agro-forêts, réserves de biodiversité et de matière organique, seule manière d’assurer une résilience à la culture du café face au changement climatique.
- Des producteurs organisés en coopérative démocratique, portant un projet collectif
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