En 6 mois, le cours mondial du cacao a perdu 30% de sa valeur, ce que d'aucuns prévoyaient. Cette chute drastique menace toute tentative de produire un cacao durable écologiquement sans exploitation sociale.
Pire, elle enclenche un appauvrissement généralisé des 6,5 millions de petits producteurs qui pourtant assurent 90% de la récolte mondiale, alors que les prix des tablettes aux consommateurs sont restés inchangés.
Nous partageons un diagnostic de terrain sur les conséquences de cette chute de prix et nous nous interrogeons sur l'avenir de la filière.
Des interrogations d'autant plus frappantes que notre SCOP maintient un prix équitable au double actuel du marché, environ 4 000 à 4 300 USD/tonne de cacao, sans impact sur le prix final payé par le consommateur.
Cacao : faites vos prix, rien ne va plus
Alors que depuis plusieurs années, les cours mondiaux du cacao étaient globalement à la hausse, la courbe s’est infléchie brutalement en septembre 2016, entrainant une chute de 30% des prix en seulement quelques mois.
Et pourtant, il n’y a pas un article sur le marché du cacao au cours de la dernière décennie qui ne souligne la constante hausse des cours du cacao et les risques de pénurie générés par la croissance de la consommation des pays émergents. Phénomène qui devrait, en toute logique, contribuer à l’augmentation des prix.
Certes, l’offre est légèrement plus élevée que d’habitude et la consommation n’a pas progressé. Les analystes pointent un excédent conjoncturel estimé à 200 000 tonnes, soit 5% du volume de cacao annuellement produit. Pas de quoi faire plonger une filière...
Mais force est de constater que la spéculation s’est engouffrée dans cette brèche et précipite les cours 30% plus bas.
Et côté consommateur, avez-vous vu chuter le prix de votre tablette ?
Des prix en dessous des coûts de production
Les cours internationaux étaient aux alentours de 3000 USD/tonne à l’été 2016. Ils tombent à 1940 USD/tonne courant février 2017. Une chute vertigineuse qui se répercute au plus fort sur tous les producteurs, quelle que soit l’origine du cacao.
Les prix sont désormais en-dessous des coûts de production, conduisant à un appauvrissement généralisé et rapide des producteurs et de leur famille.
Quand une entreprise fait face à une chute de 30% de ses prix de vente elle dépose le bilan, les producteurs, eux, s’affaiblissent.
Les paysans résistent à cette spirale négative avant l'abandon ou l'arrachage des cacaoyers. Ils s'appauvrissent mais préservent pour l'instant leurs plantations : elles représentent un capital considérable souvent créé durant toute une vie et parfois transmis sur plusieurs générations.
Leurs moyens pour résister sont limités :
Auto-exploitation : les producteurs se rémunèrent de moins en moins.
Décapitalisation : pour compenser cette baisse de rémunération, ils mobilisent leurs économies accumulées sur plusieurs années, vendant un porc ou un bovin.
Arrêt de l’entretien des parcelles : si la récolte du cacao est toujours effectuée. Les producteurs n’ont plus les moyens (temps/homme) d’assurer le travail d’entretien de leurs parcelles (désherbage, taille, ….).
Les situations sont extrêmement problématiques suivant les pays. En Haïti par exemple, pays ayant subi de lourdes pertes en raison des récents incidents climatiques (ouragan dévastant les cacaoyères, fortes pluies et cacao moisi), les capacités des producteurs à faire face à la chute des prix sont très limitées. L’exode vers la ville devient une fatalité.
Une situation très critique en Côte d'Ivoire : qui veut la peau du seul système de régulation du prix du cacao ?
En Côte d'Ivoire, premier producteur mondial, la chute des cours a également un effet désastreux. Depuis plus de 5 ans maintenant, le pays a pourtant mis en oeuvre un système inédit de régulation du marché du cacao avec le Conseil du Café Cacao (CCC).
Le CCC impose aux opérateurs de réaliser des contrats avant le démarrage des récoltes pour au moins 80% du volume à commercialiser. Seuls 20% des exportations peuvent se faire "en spot" en cours de saison.
Ce système permet à l'Etat ivoirien de connaître assez précisément le prix de vente du cacao en amont de la récolte, ce qui lui donne la possibilité de répartir la valeur ajoutée tout au long de la filière. L'Etat impose un prix minimum aux producteurs, un prix au collecteur, à l'exportateur ainsi que la valeur des impôts prélevés.
Alors que la grande campagne de récolte de cacao vient de s'achever (octobre-janvier), les exportateurs constatent que de nombreux importateurs font défaut. Ils n'honorent pas leur contrat émis il y a 6 mois aux alentours de 3000 USD/Tonne. Ces contrats porteraient sur des volumes de l'ordre de 300 000 tonnes.
Rappelons que le Conseil du Café Cacao est intervenu pour tenter de contenir la chute des cours et sauvegarder le système de régulation.
Fin janvier, des rumeurs circulaient selon lesquelles le CCC avait vendu sur des enchères spot entre 100 000 et 200 000 tonnes de cacao pour livraison entre janvier et mars, en anticipation des situations de défaut à venir.
En janvier également, le CCC avait repris ces ventes aux enchères par anticipation, après les avoir suspendus fin novembre en raison de la chute des cours mondiaux du cacao.
Le CCC demande actuellement aux exportateurs de continuer d'acheter du cacao physique pour honorer leurs contrats spot au prix minimum garanti. Le CCC s'est en effet engagé à couvrir toute perte financière liée au décalage de prix.
Mais on s'inquiète de savoir comment le CCC pourra financer cette différence de prix qui ne cesse de grandir.
Son fond de réserve est de 120 milliards FCFA (182,4 millions euros), ce qui pourrait bien ne pas être suffisant pour combler la différence entre le prix garanti et le prix spot actuel, selon Commod Africa de Février 2017.
Si le marché reste aussi bas, le CCC devra forcément accepter une baisse du prix garanti aux producteurs, soit théoriquement au moins une baisse de 30%. Le prix se situera alors à moins de 800 FCFA/kg.
Comment permettre aux producteurs d’être demain en mesure de produire un cacao durable écologiquement sans exploitation sociale quand les prix ne couvrent même pas les coûts de production ?
Alors que les consommateurs sont de plus en plus exigeants sur les conditions dans lesquelles le chocolat qu’ils consomment est produit, comment les rassurer sur la volonté de ce marché d’aller vers une meilleure prise en compte des producteurs ?
Notre politique de prix rémunérateur associée à un partenariat fort d’accompagnement des organisations de producteurs sur le terrain, a permis dans chaque pays de créer les conditions propices à un développement des organisations paysannes avec, par exemple:
- en Haïti, la maîtrise de la fermentation du cacao et l'augmentation la valeur du cacao de la coopérative FECCANO à l’exportation
- au Nicaragua, la valorisation d’un terroir d’exception oublié par le marché avec la coopérative CACAO NICA
- en Côte d’Ivoire, la création de la première coopérative de cacao bio (et toujours la seule du pays) avec la coopérative SCEB
- à Madagascar, l’exportation en direct du cacao de la coopérative Lazan’Ny Sambirano
Visiblement sur le marché, tout le monde ne partage pas cette vision.
Mais à qui profite cette plongée des cours ?