L'agriculture de contrat dans l'équitable, c'est non
Publié le 23 avril 2013 - Dernière mise à jour le 16 juin 2020
L’agriculture de contrat est une nouvelle forme de lien entre l’agriculture familiale et le marché, à l’initiative des entreprises d’exportation qui passent des contrats avec une multitude de petits producteurs pour collecter les produits dont ils ont besoin. Ce modèle est utilisé par les multinationales, mais parfois aussi par des entreprises locales. Elles financent les récoltes, apportent les intrants et organisent les collectes des produits, les producteurs de leur côté s’engagent à remettre leurs produits à un prix déterminé. Il s’agit en quelque sorte d’une privatisation des services qu’apportent habituellement les coopératives de producteurs. Ce système est aujourd’hui largement favorisé par la Coopération Internationale (Banque mondiale, Union européenne, …) qui le considère comme efficace dans un contexte de retrait des Etats et de l’aide internationale
3 types agricultures reconnues dans l'équitable
Le système Fairtrade/Max Havelaar s’adresse principalement à des organisations de petits producteurs autonomes qui doivent reposer sur une base sociale forte. L’objectif est de permettre à ces organisations d’exporter directement leurs productions dans le cadre du commerce équitable et de les soutenir dans leurs capacités à proposer des services aux producteurs (formation, crédit, assistance technique, …) et des actions de développement local. Cette modalité, correspondant aux « standards petits producteurs », reste au cœur du système Fairtrade/Max Havelaar.
Un autre type de filières labellisées par FLO concerne les standards plantation correspondant aux entreprises agro-industrielles qui cultivent par exemple de la banane, du thé ou des fleurs. Pour vendre dans le cadre du commerce équitable, elles doivent respecter des critères spécifiques (règles de l’OIT, droit syndical,..) et former en leur sein une association de travailleurs qui bénéficiera de la prime de développement. Comme d’autres acteurs engagés, chez ETHIQUABLE, nous avons décidé de ne pas travailler avec des plantations car nous pensons que la présence de ces entreprises au sein du système du commerce équitable conduit à une « concurrence déloyale » envers les organisations paysannes.
L’agriculture de contrat est la troisième modalité reconnue par le système Fairtrade/Max Havelaar. A l’heure actuelle elle est acceptée seulement en Inde, et exclusivement pour le coton et pour le riz basmati. L’agriculture de contrat, dans le cadre du commerce équitable, consiste à certifier des entreprises d’exportations qui se fournissent donc, non pas auprès d’une organisation de producteurs mais auprès de producteurs individuels, non organisés, liés par contrat à cet exportateur. Fairtrade/Max Havelaar a par le passé souhaité étendre cette modalité à d’autres régions du monde. Mais les producteurs, notamment ceux d’Amérique latine, se sont opposés à ce projet considérant le choix d’intégrer l’agriculture de contrat en contradiction avec le modèle des petits producteurs organisés.
Pour nous, ETHIQUABLE, la réponse à la question de l’agriculture de contrat dans le commerce équitable est claire : c’est non.
L'agriculture de contrat, un modèle pour les multinationales
L’offre de produits provenant d’organisations de producteurs autonomes est pour nous aujourd’hui largement suffisante et nous n’avons pas besoin de l’agriculture de contrat pour proposer aux consommateurs des produits originaux et de qualité. Les grandes entreprises, notamment les multinationales, n’ont pas le même point de vue. Elles souhaitent l’extension de l’agriculture de contrat pour accéder plus facilement à de grands volumes de produits équitables à des prix maîtrisés. Lorsqu’elles veulent développer des produits estampillés Fairtrade/Max Havelaar, ces grandes entreprises préfèrent s’adresser à leurs fournisseurs habituels que sont les exportateurs dans les pays d’origine. Il est plus facile en effet pour elles de traiter avec une entreprise d’exportation qui partage les mêmes références et les mêmes codes, les coopératives de petits producteurs ayant des exigences et un fonctionnement qui rend trop complexe la relation. De leur côté les exportateurs ont intérêt à privilégier des filières qu’ils maîtrisent eux-mêmes, comme c’est le cas dans l’agriculture de contrat. Ainsi, l’agriculture de contrat n’intéresse pas les entreprises engagées comme ETHIQUABLE, elle concerne quasi exclusivement les grands groupes qui ne souhaitent pas traiter directement avec les producteurs.
Le commerce équitable ne peut pas être réduit à un prix plus rémunérateur
La finalité du commerce équitable que nous défendons est de renforcer des organisations paysannes pour qu’elles aient plus de capacités de négociation envers les autres acteurs de leur filière et qu’elles soient force de proposition face à leur Etat, face à leurs collectivités locales. Pour qu’elles soient porteuses d’un projet de transformation sociale, de formation et de promotion des femmes et des hommes. Pour qu’elles puissent mieux défendre les intérêts des paysans dans des sociétés qui le plus souvent les excluent et les marginalisent. L’agriculture de contrat ne répond en rien à ces enjeux. Elle peut éventuellement avoir une efficacité économique, mais ne contribue à aucune transformation en profondeur et ne modifie aucun rapport de pouvoir. Elle génère des relations commerciales exclusives qui sont en contradiction avec le commerce équitable et n’engendre pas l’implication des familles paysannes au-delà de la production agricole (transformation et exportation). Enfin, certaines formes d’agriculture de contrat peuvent entraîner une intensification en intrants chimiques et une utilisation de semences améliorées, une spécialisation accrue des systèmes de production agricoles, et par conséquent, fragiliser la sécurité et la souveraineté alimentaire des populations rurales et urbaines.
Certes on peut imaginer que l’agriculture de contrat soit un passage vers la création de véritables organisations de producteurs. Cela me paraît peu probable, non seulement parce que l’entreprise qui émet les contrats n’a objectivement pas intérêt à une telle évolution, mais aussi parce que FLO a peu de capacité pour accompagner sur le terrain de tels processus. Enfin, il existe aujourd’hui de nombreuses initiatives d’organisations de producteurs, reconnues socialement et reposant sur de véritables dynamiques locales, qui méritent d’être intégrées dans le commerce équitable. Dans ces conditions, pourquoi prendre le risque d’intégrer des agriculteurs sous contrat lorsqu’on connaît la faible probabilité de les voir évoluer vers une véritable organisation de producteurs autonome ?
Pourquoi tant de bruit ?
Pourquoi tant de bruit, me direz-vous, pour une modalité aujourd’hui marginale dans le commerce équitable puisqu’il se limite au coton et au riz en Inde ? Parce qu’en réalité, il existe dans le système Fairtarde/Max Havelaar des situations qui s’apparentent à l’agriculture de contrat. En effet, suite à l’accroissement de la demande des grandes entreprises pour des produits certifiés, des exportateurs locaux ont parfois suscité la création d’organisations de producteurs qui ont obtenu la certification FLO. Certes ces organisations respectent les critères et les cahiers des charges de FLO, mais elles restent très faibles et surtout en situation de dépendance vis-à-vis des exportateurs. A ce titre, ces organisations ne sont pas très éloignées d’un ensemble de producteurs sous contrat avec un exportateur.
A Madagascar
Mis à part les coopératives avec lesquelles nous travaillons, les 8 autres organisations certifiées ont toutes été créées par des exportateurs locaux et sont totalement dépendantes de ces entreprises. Dans un pays où les exportateurs ont toujours concentré tous les pouvoirs, avec une très faible implication des producteurs dans les filières, il est dommage que le commerce équitable n’ait pas mieux réussi à jouer son rôle de rééquilibrage des rapports de force et d’empowerment des organisations paysannes.
Le café au Pérou
La forte demande des grands torréfacteurs internationaux a incité les exportateurs à créer « leurs propres organisations ». Au Pérou, par exemple, l’entreprise Huancaruna achète du café FLO dans des réseaux de ce type pour faire face à la demande de grands acheteurs. Cette stratégie est difficilement défendable puisqu’au Pérou, et particulièrement dans le Nor-Oriente, il existe de nombreuses coopératives qui pourraient répondre à cette demande. L’agriculture de contrat vient là clairement en concurrence avec les coopératives paysannes pour l’accès au marché.
Dans la filière cacao en Côte d’Ivoire également, des relations contractuelles entre des entreprises multinationales et des coopératives aux capacités encore faibles présentent les mêmes inconvénients que l’agriculture sous contrat. Premier exportateur mondial de cacao, la Côte d’Ivoire n’est entrée que récemment dans le commerce équitable. Avec déjà 15.000 tonnes cette année, le pays sera prochainement la première source de cacao équitable. Dans un premier temps, à partir de 2004, le commerce équitable démarre en soutenant quelques coopératives comme Kavokiva qui sont certes fragiles, mais disposent déjà d’une base sociale forte et d’une véritable reconnaissance des producteurs. En peu de temps cette coopérative obtient des résultats très intéressants tant sur les aspects sociaux que productifs. Elle démontre que le commerce équitable peut être un moyen pour renforcer des expériences qui demain vont faire école et changer la donne dans une filière où les producteurs n’ont aujourd’hui que très peu de poids.
Le cacao en Côte d'Ivoire
La filière cacao de ce pays connaît aujourd’hui une véritable fièvre de la certification. Sous l’impulsion des entreprises multinationales qui financent les coûts de certification (Barry Callebaut, Nestlé, Cargil), les coopératives mettent en œuvre en même temps les trois certifications dites de développement durable : FLO, Rain Forest et Utz. Chaque coopérative a une relation contractuelle privilégiée avec l’une des multinationales du cacao présente dans le pays. Les certificateurs se sont lancés dans une course de vitesse et effectuent des certifications à tour de bras. En 2007, seulement 7 coopératives vendaient aux conditions FLO, en mars 2012, 37 coopératives sont certifiées et 63 coopératives sont en cours d’agrément. Elles seront donc plus de 100 coopératives certifiées FLO l’année prochaine. Il en va de même pour les deux autres certificateurs, Rain Forest et Utz.
Dans ces conditions, le risque est grand d’intégrer dans le système des « coopératives de pisteurs », menées par quelques personnes qui agissent comme des commerçants, obtenant une efficacité certaine dans la collecte, mais ayant peu de perspective d’appropriation par les producteurs. Au cours d’une récente mission de terrain, plusieurs responsables des coopératives que nous avons rencontrées soulignent ce risque potentiel.
Retrouver une vision politique dans la démarche de certification
Pour éviter ces situations qui rassemblent tous les inconvénients de l’agriculture de contrat, il serait indispensable de retrouver une vision politique dans la démarche de certification. Si on veut réellement appuyer des organisations autonomes, il faut intégrer des critères spécifiques dans les audits qui permettent de mieux juger du degré d’autonomie et d’écarter les situations de dépendance avec des entreprises d’exportation. Car garantir l’autonomie des organisations de producteurs est un aspect fondamental dans le commerce équitable. Lorsque le commerce équitable renforce les capacités des organisations paysannes autonomes, il obtient un impact plus fondamental que celui d’un prix rémunérateur. Il permet à des producteurs de dérouler leur propre projet et de prendre réellement leur destin en main. Ce commerce équitable là n’est pas une simple niche de marché, mais a pour ambition d’accompagner des initiatives locales qui feront un effet « boule de neige » aux conséquences bien supérieures à nos primes de développement. Sans organisation paysanne, le commerce équitable perd toute sa substance. Il ne s’agit pas d’imposer un modèle coopératif unique sur la base de l’expérience latino-américaine, comme on nous le reproche souvent grossièrement. Mais d’affirmer clairement que la finalité du commerce équitable est d’accompagner les organisations des producteurs, selon un mode approprié localement, et surtout de leur permettre de gagner un peu plus de pouvoir.