Après les années 50, la standardisation variétale via la recherche a conduit à un appauvrissement très fort de la biodiversité cultivée des blés en Europe comme dans le monde. Des paysans cherchent à maintenir dans leurs parcelles des variétés locales de blé, à l'instar du Mahmoudi en Tunisie. Un blé dur traditionnellement utilisées pour réaliser du couscous.
Faute de débouchés commerciaux, la culture tunisienne du blé Mahmoudi est confidentielle. Ses qualités nutritives et sa bonne résistance à la sécheresse dans un contexte de changement climatique sont pourtant très intéressantes, voire capitales dans les régions semi-arides de Tunisie.
C’est pourquoi nous avons choisi d’appuyer les producteurs de la coopérative SMSA Lella Kmar El Baya située au sud de Tunis. Passage en bio, transformation via la mise en place d'un atelier co-financé par Ethiquable et géré par un groupe de femme. Avec cette filière fraîchement créée, couscous et boulgour permettent d'offrir de nouveaux débouchés aux producteurs.
Blé dur, blé tendre : quelle différence ?
La culture du blé tendre est la plus répandue dans le monde. Le blé tendre est essentiellement utilisé en farine pour ses qualités de panification (pain, gâteau, patisserie...).
Le blé dur ne se cultive que dans les régions chaudes et sèches, principalement autour de la Méditerranée. Il sert à la fabrication de la semoule (coucous, boulgour) et des pâtes.
Une variété ancienne blé dur
résistante aux maladies et au changement climatique
Les 18 producteurs de la coopérative Lella Kmar El Baya sont installés dans les collines du nord de la Tunisie aux environs de Zaghouan, au sud de Tunis. Ils cultivent un blé paysan autochtone sans engrais chimiques ni herbicides, ni même irrigation. Les blés anciens sont de fait rarement compatibles avec des techniques de cultures dites modernes et s'accomodent de méthodes "naturelles".
Le Mahmoudi se reconnaît à ses longues pailles et une barbe noire. Il est moins gourmand en eau que les variétés standardisées et ne nécessite qu’environ 240 mm d’eau par an (strict minimum), deux fois moins qu'une variété "moderne".
Le Mahmoudi offre d'autres avantages agronomiques. Il est résistant aux maladies fongiques, comme la rouille noire. Il est aussi parfaitement adapté aux conditions pédo-climatiques de la région, qui connaît ces dernières années des épisodes de chaleurs et de sécheresse croissants.
Youssef Hammouda, sa femme Samira et son fils Yassine présentent les tiges de blé fraîchement récolté lors de la visite de Guillaume Serillon, agronome chez Ethiquable et en charge du suivi du partenariat
Un prix équitable
qui pérennise une culture en bio
Revers de la médaille : les rendements du Mahmoudi sont quasi-inférieurs de moitié à un blé hybride, ce qui pénalise la diffusion de sa culture. Pour encourager sa production, seul un prix rémunérateur et stable dans le temps permet à cette variété de garder son attrait :
• Rémunérateur pour financer la mise en place de pratiques bio qui demandent des formations et un travail plus important dans les champs
• Stable pour prévoir les cultures sur plusieurs années et s’assurer que les pratiques mises en place pourront être bénéfiques sur le long terme.
Ethiquable paye un prix supérieur de 20% au prix du marché du blé conventionnel à la coopérative.
Avec l'appui de notre équipe d'agronomes, les producteurs de la coopérative ont été accompagnés pour obtenir la certification Agriculture Biologique. Des itinéraires techniques ont été mis en place pour adapter leurs pratiques culturales aux cahiers des charges bio:
- suivi strict des amendements (fertilisant bio) et des traitements bio
- généralisation des couverts végétaux
- intégration des légumineuses dans les rotations pour assurer la fertilité des sols
Pour les producteurs, le choix d’une semence paysanne comme le blé Mahmoudi répond à une volonté d'autonomie et à un impératif de rendement certes plus faible mais assuré dans le temps, le rendement supérieur des blés hybrides étant plus aléatoire.
Blé population, variété ancienne, semence paysanne : ça veut dire quoi ?
Un blé population comme le blé dur Mahmoudi est une semence paysanne. Chaque année, les producteurs trient eux-mêmes leurs semences. Ils ne sont donc pas tributaires des semenciers et s'émancipent ainsi des grands groupes semenciers. Ils gagnent en autonomie.
Un blé population par nature n'est pas stable, on dit qu'il est évolutif. Des variations des caractéristiques de ce blé opèrent à la marge d’une année sur l’autre et explique en partie le fait que ces variétés rustiques ne soient pas répertoriées dans le catalogue des variétés officielles.
À l’inverse d'un blé hybride ou "moderne" appauvri par la sélection successive, un blé ancien issu de semences paysannes sera plus résistant en contrepartie d’un rendement plus faible. Il a l’avantage d’être rustique, nécessitant peu d’eau et aucun traitement chimique, et très résistant aux maladies et aux changements climatiques. Les blés population sont parfaitement adaptés à l’agriculture biologique.
Un atelier de fabrication de coucous et de boulgour
pour créer de la valeur ajoutée localement et de l’emploi pour les femmes
La transformation est un autre levier pour augmenter la rémunération des producteurs. Le projet avec la coopérative s'appuie également sur la mise en place d’un atelier de transformation du blé dur.
Les femmes sont traditionnellement chargées de la transformation du blé en Tunisie. L'atelier aux normes et certifié bio permet de pérenniser l’emploi des 23 femmes qui se retrouvaient pour préparer de manière artisanale coucous et boulgour à base de blé dur.
L'atelier géré par un groupe de femmes et sa ligne de conditionnement du couscous et du boulgour
En 2022, l'atelier est officiellement inauguré. Il permet de commercialiser un produit fini, boulgour ou couscous, prêt à être exporté en France avec Ethiquable ou commercialisé pour le marché local.
Inauguration de l'atelier à l'ouest de Tunis dans la zone de Djeida où sont réalisées les premières étapes de transformation de blé en blé concassé, farine ou semoule
Avec l’appui de programmes financés par la coopération internationale allemande GIZ et américaine USAID ainsi qu'un apport financier d’Ethiquable, la coopérative a été accompagné pour se structurer :• passage en SMSA, l’équivalent de la coopérative agricole en France
• mise en place de la certification bio des parcelles des producteurs
• mise en place de la certification commerce équitable de la coopérative
• création d’un atelier de transformation aux normes et certifié bio