Les cours du cacao pulvérisent des records historiques avec un sommet absolu atteint en cette fin février à 6500 USD/T*. Avec le regard de l'entreprise de commerce équitable que nous sommes, nous partageons avec vous, en 8 questions, un décryptage sur ce phénomène qui met en lumière les mécaniques à l'oeuvre dans la filière.
* Mise à jour fin mars : la bourse de New York a fermé le 16 mars 2024 à plus de 8000 USD/T, donc 3,4 fois le prix moyen du cacao de l'année dernière. Le 18 mars, la clôture intervenait à 8300 USD/T. Le marché est entré dans une folie spéculative largement décorrélée de la réalité physique du produit. Les données de cet article basées sur une moyenne du mois de février à 6000 USD/T sont donc déjà dépassées.
#1 Pourquoi assiste-t-on à une envolée spectaculaire des cours du cacao ?
#2 La spéculation intervient-elle dans le phénomène de hausse ?
#3 Les producteurs profitent-ils de la hausse des cours ?
#4 Les producteurs de cacao vont-ils s'enrichir ?
#5 Le commerce équitable est-il encore utile dans ce contexte ?
#6 Les prix vont-ils baisser prochainement ?
#7 La hausse spectaculaire des cours annonce-t-elle la fin du boom du cacao en Côte d’Ivoire ?
#8 Quel va être l'impact pour les consommateurs ?
Depuis 2019, nous achetons en moyenne le cacao à 4200 USD/T. Quand le cours de bourse dépasse notre prix équitable, nous achetons le cacao selon la règle du Label des Producteurs Paysans : Cours de bourse + 850 USD/T.
#1
Pourquoi assiste-t-on à une envolée spectaculaire des cours du cacao ?
Après une chute brutale de 30% en 2017, de 3000 USD/T à 2000 USD/T, les cours internationaux du cacao ont oscillé durant 7 ans autour de 2300 USD/T. De nombreuses études ont montré que ces prix trop bas ont maintenu les deux tiers des producteurs d'Afrique de l'Ouest en dessous du seuil de pauvreté. Pour assurer un revenu décent aux producteurs de cacao, il est avéré qu'un prix de 4000 à 5000 USD/T aurait été nécessaire. Sur les marchés à terme de Londres et de New York, les cours de la fève de cacao ont connu une hausse continue depuis l'été 2023 et une envolée spectaculaire depuis le début de l'année 2024, pour atteindre le record absolu fin février de 6500 USD/T et pulvériser le score historique de 5500 USD/T en 1977. En un an, les cours du cacao auront été multipliés par 2,8.
La tendance haussière s'explique à l'origine par une très mauvaise récolte en Afrique de l'Ouest, principalement due à des conditions météorologiques peu favorables avec de fortes pluies suivies d'une période trop sèche en 2023. Dans ces conditions, les plantations vieillissantes et menées en monoculture ont connu de fortes attaques des maladies du cacaoyer, comme le swollen shoot et la pourriture brune.
Dès les premiers comptages de fleurs des cacaoyers au mois de mai 2023, la mauvaise récolte d'octobre à décembre était annoncée. La décision de la Côte d'Ivoire de suspendre exceptionnellement ses ventes anticipées au mois de juillet a contribué à accélérer la hausse des cours.
En cours de saison, la baisse des rendements s'est confirmée. Les chiffres publiés en début d'année montrent que fin janvier 2024, les arrivées de cacao aux ports sont de 35% inférieures à l'année précédente en Côte d'Ivoire et au Ghana.
Comme les deux pays représentent 60% de la production mondiale de cacao, cette baisse de l'offre génère un déficit sans précédent sur le marché du cacao. Les stocks internationaux de cacao ayant diminué au cours des dernières années, les tensions conduisent forcément à un déséquilibre entre offre et demande et à une hausse spectaculaire des cours.
#2
La spéculation intervient-elle dans le phénomène de hausse ?
La hausse des cours est particulièrement alimentée par des fonds spéculatifs, la dernière crise financière ayant amené les hedge funds à se positionner sur les marchés des matières premières. Le cacao côté aux bourses de Londres et de New York est encore plus sensible à la spéculation.
En cas de déficit comme d'excédent, la spéculation s'appuie sur des causes réelles du marché physique, mais vient exagérer les tendances. En 2017, une surproduction de seulement 200 000 tonnes a conduit à un effondrement de 30% du prix du marché poussé par une spirale spéculative.
De la même façon, la spéculation à la hausse conduit aujourd'hui à ce record historique des cours du cacao. La Commodity Futures Trading Commission estimait que les opérateurs financiers ont investi un montant jamais égalé de 8,7 milliards de dollars au cours des derniers mois sur les bourses de New York et de Londres pour spéculer en faveur d'une hausse des cours du cacao.
Les fonds spéculatifs ne sont pas directement la cause de la hausse. Ils s'appuient à l’origine sur des causes réelles. Mais leurs apports massifs des liquidités conduisent le marché à des extrêmes qui n'ont plus de rapport avec les réalités physiques du cacao.
#3
Les producteurs profitent-ils de la hausse des cours ?
En Côte d'Ivoire et au Ghana, les producteurs de cacao n'auront pas bénéficié des cours internationaux élevés en raison des systèmes de régulation du marché de ces deux pays qui, dans le cas présent, ont été un obstacle pour obtenir un prix plus élevé pour les producteurs.
En Côte d'Ivoire, le marché du cacao est régulé par le Conseil Café Cacao (CCC). Celui-ci n'achète, ni ne vend de cacao, mais enregistre et autorise tous les achats de cacao dans le pays. Le CCC demande aux acheteurs de contractualiser 80 % de leurs besoins de façon anticipée, 6 à 12 mois avant la récolte. Seul 20 % du volume prévu est mis en vente pendant la récolte de façon à compléter la campagne.
Ce système permet à la Côte d'Ivoire de connaître le prix moyen de vente de la saison et d'en déduire le prix garanti par l'État aux producteurs, cela afin d'éviter les variations intra-saisonnières du prix bord champ.
Prix bord champ : prix payé aux producteurs par le négociants ou la coopérative dans notre casPrix à l'export (FOB) : prix payé par l'importateur au négociant ou par Ethiquable à la coopérative
En 2023, toute la récolte de cacao de la saison d'octobre à décembre a été vendue au cours du premier semestre. Plus d'un million de tonnes de cacao ont été vendues au prix moyen à l’export (FOB) publié au barème du CCC de 2650 USD/T, soit un équivalent de 2,45 €/kg. Le pays n'a donc pas bénéficié des prix élevés : le prix garanti aux producteurs pour la grande campagne 2023 était établi à 1000 FCFA/kg (1,52 €/kg), soit à peine 100 FCFA (0,15 €) de plus que le prix de la saison précédente.
Le système est différent au Ghana, puisque le Cocobod intervient directement sur le marché en achetant et en vendant les volumes de cacao. L'intervention de l'État ghanéen sous forme d'enchères se réalise également de façon très anticipée.
Le prix garanti par l'État aux producteurs a été de 1,65 €/kg, légèrement au-dessus des prix de la Côte d'Ivoire (1,52 €/kg), mais totalement décroché des cours internationaux pendant la campagne.
Dans les pays voisins comme le Togo ou le Cameroun, dont les marchés sont libéralisés, sans aucunes interventions de l’État sur le marché, les prix aux producteurs ont atteint des scores de 3,8 €/kg à 4,6 €/kg (2500 à 3000 FCFA) aux producteurs de cacao.
En Amérique latine, où les marchés sont libéralisés et plutôt concurrentiels, les prix aux producteurs sont en général de 400 à 500 USD/T de moins que le prix à l'exportation (FOB), cette différence représentant la rémunération des intermédiaires et des exportateurs.
Un cas intéressant est celui de l'Équateur, aujourd'hui le 3e producteur mondial de cacao. Alors que la récolte bat son plein dans le pays en ce début d'année, les prix aux producteurs sont aux zéniths à plus de 5500 USD/T, alors qu’ils ne touchaient que 2200 USD/T au cours de la campagne 2023. Les exportateurs collectent et semblent vendre effectivement leurs récoltes aux prix internationaux de plus de 6000 USD/T, répercutant les performances de la bourse aux producteurs de cacao. Il faut préciser que l'Équateur est plus que jamais pris en otage par le narcotrafic de cocaïne avec un fort volume de liquidités injectées dans l'économie. Ce qui peut expliquer en partie la parfaite répercussion des cours de bourse, mêmes dans les zones rurales plus reculées.
D'autres pays actuellement, en récolte, comme Madagascar ou le Nicaragua montrent que les prix bord champ atteignent un plafond autour de 5000 USD/T, les opérateurs hésitant à prendre le risque de suivre les excès du marché boursier.
Les deux plus grands marchés de cacao bio que sont le Pérou et la République dominicaine vont prochainement entrer en campagne de récolte principale. Il est fort probable que ces deux pays suivent la dynamique de l'Équateur, car la demande du cacao bio ou de qualité supérieure qu'ils proposent ne cesse d'augmenter et les stocks mondiaux pour ces marchés de spécialité restent le plus souvent limités à environ six mois de consommation.
#4
Les producteurs de cacao vont-ils s'enrichir ?
Si les producteurs de cacao vendent leur récolte entre 4000 et 5000 USD/T, peut-on dire pour autant qu'ils s'enrichissent ?
De nombreuses études situent le prix durable aux producteurs (Living Income Price) aux alentours de 3000 à 3500 USD/T. Ce prix est celui pratiqué par Ethiquable au cours des dernières années, soit un prix FOB aux coopératives entre 4000 et 4500 USD/T.
Le marché permet enfin aux producteurs d'atteindre ce fameux revenu décent que de nombreux acteurs de l'industrie du cacao appelaient de leurs vœux, tout en estimant que la réalité du marché dans les pays consommateurs ne pouvait pas supporter un prix aussi élevé.
Au moins, la situation actuelle a-t-elle pour avantage de démontrer que cette limite n'est pas réelle, puisque les mêmes qui disaient jusque-là qu'il serait impossible de payer le cacao à sa juste valeur, achètent aujourd'hui le cacao à presque trois fois le prix de l'année dernière.
Dans le monde du cacao, les paysans ont une expérience concrète et historique de la volatilité des prix. Ils savent qu'une année sur 7 ou sur 10, les prix du marché s'envolent, leur permettant une rémunération exceptionnelle.
Ces courtes périodes sont le plus souvent mises à profit pour capitaliser, pour préparer l'avenir. Les familles achètent une parcelle, améliorent l'habitat ou acquièrent une bicyclette ou une moto. Ils savent que les prix hauts ne durent jamais très longtemps et qu'après la hausse viendra la baisse qui peut, elle, durer assez longtemps.
Le véritable problème du marché du cacao est comment garantir une stabilité, un prix toujours suffisamment rémunérateur pour couvrir les coûts de production d'une agriculture qui respecte la nature et assurer un revenu décent à la famille.
#5
Le commerce équitable est-il encore utile dans ce contexte ?
Dans le cadre du label Producteurs paysans (SPP), nous appliquons la règle du prix minimum garanti de 2750 USD/T + une prime bio de 600 USD/T + une prime de développement de 250 USD/T. Donc, au total, un prix minimum de 3600 USD/T.
Lorsque les cours internationaux dépassent le prix minimum garanti, nous appliquons la règle du prix du marché + primes bio et de développement de 850 USD/T. Cette règle est plus exigeante que celle du label Fairtrade/Max Havelaar qui retient le principe prix du marché + des primes de 550 USD/T pour un cacao bio équitable.
On nous demande souvent pourquoi les coopératives qui ont bénéficié de prix élevés du commerce équitable lorsque les cours sont bas, ne peuvent pas maintenir des prix stables et éviter de suivre les flambées des prix qui surviennent périodiquement.
Lorsque les cours augmentent, la situation est certes favorable aux producteurs, mais elle est de fait plus difficile à tenir pour les coopératives qui se voient concurrencées par le secteur privé. Dans les conditions de relative précarité dans lesquelles se trouvent les producteurs du Sud, il est quasi impossible d'imaginer que des producteurs acceptent de remettre à leurs coopératives des produits en-dessous des prix du marché. On peut certes l’observer ponctuellement dans des coopératives très militantes, mais seulement sur une période limitée et dans des proportions raisonnables.
Il reste donc impensable que des producteurs acceptent des décrochages du prix payé par leur coopérative par rapport au prix du marché sur leur territoire. Et ce d’autant plus que l'obligation d'un apport total à la coopérative des volumes de récoltes des producteurs adhérents, comme cela se pratique dans les coopératives en France, n'existe pas dans les coopératives des pays du Sud.
Une fois le prix payé aux producteurs, les coopératives ont besoin d'une marge additionnelle car elles assument des services aux producteurs. Elles maintiennent le système de contrôle de la bio, la traçabilité, l'appui à l'agroforesterie et les activités de développement. Nous estimons qu'une marge entre 1000 et 1500 USD /T (dont 250 USD/T de prime de développement) en plus du prix payé aux producteurs est nécessaire pour l'essentiel de nos partenaires. De leur côté, les exportateurs privés et leurs chaînes d'intermédiation ne supportent pas ces fonctions. Ils parviennent à collecter et exporter le cacao, avec une marge de seulement 500 USD/T, lorsque les cours sont élevés. Une différence en défaveur des coopératives.
Pour ces raisons, il est primordial que les coopératives soient en capacité d'assurer des différentiels positifs à leurs membres, même dans un contexte de forte augmentation des cours. La règle du commerce équitable du prix du marché + différentiel bio-équitable reste nécessaire et justifiée même en cas de tendance haussière.
Si les cours internationaux du cacao retombent à des niveaux plus bas, il sera important pour les coopératives de compter sur un prix minimum plus élevé que ceux pratiqués jusque-là. En effet, avec l'inflation des deux dernières années, le coût de la vie a augmenté considérablement dans les pays producteurs. Le living income producteur qui était de 3 000 - 3500 USD/T glisse vers un nouveau seuil de 4000 - 4500 USD/T. Le prix FOB d'une production durable pourrait ainsi passer de 4500 USD/T à 5500 USD/T.
#6
Les prix vont-ils baisser prochainement ?
L'évolution du marché est totalement liée à la situation de l'Afrique de l'Ouest. En Côte d'Ivoire, la production de cette campagne 2023-2024 est attendue autour de 1 750 000 tonnes, avec 1 300 000 tonnes sur la récolte principale d'octobre-décembre 2023 et 450 000 tonnes sur la récolte intermédiaire de mars-avril 2024.
La campagne précédente 2022-2023 avait atteint 2 300 000 tonnes selon les chiffres officiels. La baisse de la récolte ivoirienne de cacao pour 2023-2024 serait donc de 24 %.
Cette donnée semble être corroborée par des arrivées au port de la récolte principale d'octobre-décembre 2023 en net recul. À fin janvier, le volume de cacao arrivé au port était de 35% inférieur à celui de l’année dernière (N'Kalo, Bulletin marché du cacao, février 2024).
La crise actuelle provient bien d'un volume de ventes anticipées de la Côte d'Ivoire supérieur à la récolte, le pays ne pouvant honorer les contrats passés par ses exportateurs. Ce déficit évalué à 400 000 T doit être reporté sur la campagne intermédiaire de mars-avril 2024 qui risque d'être tout juste suffisante pour couvrir ce déficit. La réalité du déficit du marché ne devrait donc pas évoluer de Côte d'Ivoire. Le marché restera donc déficitaire et les cours ne devraient donc pas baisser significativement.
Passée la saison intermédiaire de mars-avril, que peut-on dire de l’impact de la récolte principale d’octobre - décembre 2024 ? Nombreux sont ceux qui pensent que cette récolte pourrait changer la donne et faire baisser les cours.
Néanmoins, personne ne peut prédire les résultats de la récolte avant les premiers comptages de fleurs en avril-mai. Et, en tout état de cause, en vertu du système de ventes anticipées de la Côte d’Ivoire, Un volume de 900 000 tonnes, soit environ 60% de la récolte supposée, a déjà été contractualisé à des prix se situant peut-être autour de 4 000 USD/T. Des ventes additionnelles se feront probablement avant le démarrage de la grande récolte d’octobre en fonction du résultat du comptage des fleurs (peut-être 100 0000 ou 200 000 tonnes), et enfin d’autres ventes se feront pendant la récolte.
Il est donc peu probable que les tendances du marché changent significativement avant cette prochaine récolte. Les perspectives à moyen terme militent pour des cours plutôt élevés dans l'avenir.
Certains éléments pourraient nous amener à penser que la production de la Côte d'Ivoire et du Ghana a atteint un pic lors de la campagne 2020/2021 et qu'elle pourrait connaître une phase descendante dans l'avenir. Le vieillissement des plantations, leur situation sanitaire dégradée, la baisse de fertilité des sols défrichés depuis plusieurs décennies sont autant d'éléments qui convergent vers une perspective pessimiste. D'autres cultures comme le palmier à huile, l'hévéa ou même la production alimentaire (banane, igname…) sont souvent préférées au cacao par les jeunes qui s'installent pour des raisons économiques et agronomiques.
#7
La hausse spectaculaire des cours annonce-t-elle la fin du boom du cacao en Côte d’Ivoire ?
L’économiste du CIRAD, François Ruf, annonçait dès 1995 la fin du cycle du cacao de Côte d'Ivoire (Booms et crises du cacao - Les vertiges de l'or brun) et une baisse de la production ivoirienne. Ce phénomène retardé par la colonisation des forêts classées du pays est-il sur le point de se réaliser ?
Le boom du cacao ivoirien est le résultat d'un double phénomène : la conjonction de l'arrivée d'une importante main-d'œuvre provenant notamment des pays frontaliers au Nord et d'immenses étendues de forêts primaires rendues disponibles à la mise en culture.
L'importante réserve de fertilité mobilisée par l’abattage de la forêt et la défriche-brûlis a généré à court terme un extraordinaire déploiement des plantations de cacao, mais une fois la rente forestière consommée et les sols appauvris par la monoculture en pleine lumière, la production cacaoyère chute inexorablement… jusqu'à ce qu'une autre région forestière prenne le relai pour un nouveau boom du cacao.
Le changement climatique à l'œuvre et le Règlement européen de lutte contre la déforestation importée, dont le but est justement d'éviter de nouveaux booms du cacao, sont autant d'éléments qui laissent à penser que nous sommes à la veille d'une période où le cacao sera plus rare et plus cher.
#8
Quel va être l'impact pour les consommateurs ?
Faisons un calcul simple pour évaluer l'impact de la hausse du cacao sur le coût d'une tablette. Imaginons une tablette de chocolat noir avec 75 % de cacao sans beurre de cacao ajouté pour simplifier.
Début 2023, le cacao coûtait 2400 USD/T. Il revient aujourd'hui à 6000 USD/T, donc 3400 USD/T de plus. Avec un rendement de 80 % de fèves pour fabriquer de la pâte de cacao, le coût du cacao dans cette tablette 75 % de cacao passe de 0,23 € par tablette à 0,53 €, donc une hausse de 0,30 € par tablette.
En réalité, avec les jeux des marges des fabricants et des distributeurs, cette hausse des cours va générer une augmentation de prix au consommateur d'au moins 0,5 € par tablette. Dans votre magasin, la tablette de chocolat noir conventionnelle de la marque de référence du rayon affichée aujourd'hui à 1,50 € passera à plus de 2 €.
Dans le cas d'une tablette bio labellisée Fairtrade/Max Havelaar, le coût du cacao passe de 2950 USD/T début 2023 à 6550 USD/T aujourd'hui (pour mémoire : prix de bourse à 6000 USD/T + prime bio-équitable de 550 USD/T). Le coût du cacao dans votre tablette passe de 0,27 € par tablette à 0,60 € par tablette, donc une hausse de 0,33 € par tablette. Une hausse finalement similaire à celle du chocolat conventionnel. Une tablette de chocolat bio labellisée Fairtrade/Max Havelaar de la marque d’une grande chaîne de supermarché proposée à 1,30 € pourrait ainsi passer à plus de 1,80.
Pour une tablette Ethiquable, la différence est moindre, car notre prix d'achat du cacao en 2023 part de moins bas. Le coût passe de 4400 USD/T à 6850 USD/T (pour mémoire : prix de bourse à 6000 USD/T + primes du label Producteurs Paysans de 850 USD/T).
L'impact de la hausse du prix au consommateur de la tablette de chocolat noir 75 % Ethiquable est minoré avec seulement 0,22 € contre 0,50 € de la tablette conventionnelle et 0,33 € de la tablette bio labellisée Fairtrade/Max Havelaar. Mais il est quand même considérable si on se place du point de vue du consommateur.
Les prix aux consommateurs vont donc considérablement augmenter prochainement. Les grandes marques vont cependant appliquer les hausses avec un certain temps de latence, car elles ont acheté leur cacao d'Afrique de l'Ouest (50 % de la récolte mondiale) au prix de l'année dernière. Les géants du cacao fortement présents en Côte d'Ivoire et au Ghana ont acheté plus d'un million de tonnes de cacao à un prix autour de 2600 USD/T contre un prix du marché actuel à 6000 USD/T. Une telle situation explique pourquoi les grandes marques parviennent aujourd'hui à ne pas augmenter et à maintenir leurs prix de vente consommateur. Leur position privilégiée sur le marché de Côte d'Ivoire contribue à consolider et à entendre leur assise sur le marché.
Les hausses du chocolat bio ne connaîtront que très peu d'effets de retard. En effet, mis à part l'impact des stocks habituels de maximum 6 mois de consommation, le cacao bio provenant principalement du Pérou et de République dominicaine est directement concerné par l'envolée des cours du cacao et ce, dès la récolte actuellement en cours. Le cacao bio de Côte d'Ivoire ou de Ghana acheté à plus bas prix ne représente qu'un faible volume.
Rappelons-le, le marché du chocolat se caractérise par une forte décorrélation entre le prix des produits chocolatés aux consommateurs et les prix du cacao sur le marché mondial. Les barres et les tablettes de chocolat ont pris beaucoup de valeur au cours des dernières décennies avec un cacao resté pourtant quasi stable. Le phénomène est amplifié par une nette diminution de la part de cacao dans les produits chocolatés et l'accroissement des dépenses en R&D, marketing et publicité des grandes marques. (La face cachée du chocolat, Le Basic 2020).
L'importance de la hausse du cacao tend aujourd'hui à mettre à l'épreuve ce principe de décorrélation entre prix des fèves de cacao et prix du chocolat pour le consommateur. La part du cacao dans le prix des tablettes de chocolat n'étant généralement que de 5 % à 10 %, le triplement du prix mondial du cacao ne va pas provoquer un triplement du prix de la tablette, mais tout de même une hausse de 30 ou 40 %, ce qui est considérable.
La vraie question est de savoir si une telle hausse du prix d’une tablette de chocolat va demain provoquer une baisse de la demande. Dans un article des Échos paru fin janvier 2024, Philippe Chalmin, professeur d'histoire économique à Paris-Dauphine, considère que le chocolat n'est pas un bien essentiel et qu'on peut donc aisément s'en passer. Les hausses actuelles devraient donc finir par avoir un effet correctif sur la consommation.
Il est vrai qu'aujourd'hui, le cacao est présent dans toute sorte de produits industriels : glaces, yaourts, biscuits… Ce qui était à l'origine un ingrédient noble, un produit de terroir aux profils aromatiques complexes comme le vin ou le café, est aujourd'hui intégré par l'industrie comme ingrédient peu cher. Nous consommons du cacao au quotidien sans même nous en rendre compte, sans lui reconnaître la valeur qu'il contient, le savoir-faire qu'il mobilise et l'importance de travail qu'il suppose.
Le triplement des cours du cacao en quelques mois nous rappelle qu'un basculement vers une nouvelle ère est possible. Une ère dans laquelle le cacao à bas prix pour un marché de masse n'existerait plus. Une ère où un cacao mieux payé aux producteurs sera consommé autrement, avec parcimonie et prise de conscience de la qualité du produit.