Parmi les 77 organisations paysannes avec lesquelles nous travaillons, plusieurs coopératives ont développé des techniques novatrices pour augmenter les rendements en agriculture biologique tout en garantissant l’autonomie des producteurs.
Ces organisations expertes, COMSA, une coopérative de producteurs de café au Honduras, et FECCEG, une coopérative de producteurs de café et de sucre de canne au Guatemala, ont mis en place des biofabricas, des petites unités communautaires de production de biofertilisants. Elles ont créé des différentes recettes à partir de matières organiques, minérales et de micro-organismes prélevés localement.
Les résultats de ces recettes innovantes de biofertilisants fabriqués localement sont impressionnants. Leurs rendements dépassent ceux des cultures conventionnelles grâce à un sol vivant et en bonne santé et un écosystème stable et sain. Les revenus des producteurs ont augmenté.
Former les producteurs aux biofertilisants
Les coopératives les plus consolidées, soit une dizaine de coopératives partenaires, ont déjà largement développé les biofabricas. Au moins 30 % des producteurs latino-américains partenaires appliquent fréquemment ces biofertilisants.
Former le plus d'organisations possible pour démocratiser la création biofrabricas est pour nous un enjeu à plus d’un titre. Dans le cadre des projets financés par la règle des 10 %, nous proposerons peu à peu de donner accès à ce levier à toutes les coopératives d’Amérique latine.
La règle des 10%
Les statuts de notre SCOP incluent une règle de partage de nos bénéfices avec les producteurs. Lorsque les résultats d'ETHIQUABLE sont positifs, 10% sont affectés l’année suivante à la réalisation de projets aux bénéfices des producteurs. Ces 10% servent à cofinancer des projets de la coopération internationale pour obtenir un effet levier important, à apporter du capital aux coopératives pour des investissements productifs ou des innovations qui contribuent à la création de valeur ajoutée.
Depuis 2018, nos efforts se sont concentrés sur nos 7 partenaires en Equateur - Fapecafes, Coprobich, Asoprocam, Apeosae, Fonmsoeam, Urocal et Jambi Kiwa - ainsi que la SCEB en Côte d'Ivoire. En Amérique centrale, nous organisons des échanges pour diffuser la création de fabriques de biofertilisants. Ces formations et échanges s’organisent autour des experts des coopératives de COMSA à l'origine de notre café Honduras depuis 2005, et de FECCEG. Nous projetons d’étendre au Pérou et en Bolivie les formations à 6 autres coopératives: CECAOT, AGROPIA, Frutos del Ande, Apromalpi, Union Pro agro et Illampu.
Les producteurs équatoriens de la coopérative FONMSOEAM lors de la formation biofabricas
Augmenter les rendements en bio, c’est possible
Augmenter les rendements dans le cadre de la certification biologique, et particulièrement de l’agroforesterie certifiée bio pratiquée par nos partenaires, passe en premier lieu par des techniques connues de rénovation des parcelles auxquelles les producteurs ont facilement accès soit par les techniciens de la coopérative, soit via notre appui au cas où la coopérative n'est pas assez consolidée.
Au Nicaragua, par exemple, les producteurs de CACAO NICA à l'origine de la tablette Grand Cru 75% ont bénéficié de prix équitables durant plus de dix ans. Ils ont considérablement accru le travail dans leurs plantations de cacao, passant de 50 jours par hectare à plus 120 jours par hectare. Ils ont rénové leurs plantations, pratiqué le recépage des vieux arbres et surtout taillé les cacaoyers et les arbres d’ombrage avec à la clef des rendements plus importants.
Les études d’impact que nous réalisons indiquent que les prix stables et rémunérateurs du commerce équitable invitent les producteurs à faire des investissements pour améliorer leurs rendements, et donc leur volume de production. Quand ce deuxième levier est activé, les revenus augmentent de manière significative.
Quand les producteurs inventent la bio de demain, ils dynamisent leur parcelle aujourd’hui
L’augmentation des rendements passe aussi par l’achat de biofertilisants. Ces intrants représentent une double pénalité pour les producteurs, du fait de leur coût mais également de la dépendance qu’ils engendrent.
C’est sans compter la succès story latino-américaine des biofabricas, ces fameuses petites unités de production in situ de biofertilisants. Elles utilisent des intrants locaux, coûtent peu, maintiennent l’autonomie des producteurs et affichent des rendements démultipliés.
Nous avons constaté qu’une fertilisation complète d’une parcelle agroforestière de cacao avec des biofertilisants de biofabricas permet une économie de 490$ par hectare et génère une augmentation des rendements de 30%.
En Equateur, les producteurs de la coopérative Asoprocam se forment aux biofertilisants.
Biofabricas : aux origines d’une succès story latino-américaine
Les biofabricas sont apparues en Amérique latine dans les années 80 avec des producteurs pionniers qui ont commencé à réaliser leurs propres biofertilisants. Ces initiatives débutent au Brésil pour les biofertilisants et au Costa-Rica pour les micro-organismes qui permettent la reproduction de la microbiologie des sols et des plantes.
Collecte d'humus de sol de forêt pour la préparation de fertilisant à base de micro-organismes en Côte d'Ivoire avec la coopérative SCEB
Avec les résultats très impressionnants obtenus sur les rendements par ces pionniers, les techniques se sont diversifiées. De nouvelles recettes sont apparues comme les « caldos minerales », des préparations minérales qui mélangent des minéraux ou sulfates naturels, et les bio-protecteurs végétaux. Les organisations de la société civile ont très vite compris l’importance de telles solutions pour les paysans et ont divulgué ces pratiques simples et économiques.
Aujourd’hui, la plupart des petits producteurs en Amérique latine connaissent les « bioles » ou « micro-organismes », reconnaissent leur efficacité et les réalisent dans leur ferme ou dans des « biofabricas » communautaires. Ces techniques novatrices et très empiriques ont attiré la curiosité de la communauté scientifique qui multiplie les recherches sur le sujet, espérant comprendre comment fonctionnent ces procédés artisanaux.
C’est quoi ces mico-organismes ?Nous ne connaissons actuellement que 6 à 10% de la vie microbienne des sols, soit 30 000 espèces de bactéries, 2 000 000 espèces de champignons, d’algues, d’actinomycètes, de nématodes. Les 90% restant est encore un grand mystère.
Les micro-organismes réalisent divers services dans les écosystèmes et les cultures. Dans le cas de la symbiose avec les racines, ils permettent d’augmenter jusqu’à 13 fois la quantité de « racines » (mycorhizes), d’aider la plante à assimiler des éléments nutritifs (diverses symbioses plantes/champignons/bactéries), de décomposer la matière organique (lactobacillus, autres bactéries et champignons), de défendre des possibles maladies (Trichoderma, Bacillus spp…) et de réaliser des processus biologiques indispensables.
Formation à Muisne chez FONMSOEAM en Equateur. Recette à base de minéraux.
Les bio-fabriques, un modèle économique et facile à mettre en place
Une fabrique de biofertilisants ne demande pas beaucoup d’investissement aux producteurs. Elle nécessite un espace doté d’un toit, une dizaine de bidons et cuves plastiques hermétiques et différents matériels organiques, minéraux et végétaux. Les recettes des produits sont faciles à réaliser.
Ces ateliers sont très économiques par rapport à un achat d’intrants biologiques nécessaires dans le cas de produits certifiés bio. Le coût du micro-organisme liquide pour une application sur un hectare est de moins de 3€ en comparaison des 20€ à 60€ pour un biostimulant acheté dans le commerce. L’investissement nécessaire pour la création d’un atelier avec une production de biofertilisants pour fertiliser 5 hectares de cacao ou café est de 1 000€.
Le modèle de développement de ces fabriques est souvent communautaire. Elles sont conçues pour 10 à 60 hectares de cultures dans des lieux centraux où les producteurs viennent s’approvisionner.
Des recettes réalisées à partir de prélèvement d’humus dans la forêt primaire.
Les biofertilisants sont préparés à partir de petits prélèvements d’humus dans la forêt primaire. Les micro-organismes ainsi récupérés dans les premières couches des sols de la forêt, sont mélangés à du son de céréales, de la mélasse et de l’eau. Ce cocktail placé dans un bidon hermétique, fermente pendant 30 jours, ce qui accélère la reproduction microbienne. Les producteurs obtiennent ainsi un mélange solide qui sert de base pour réaliser tous les autres biofertilisants et bio-protecteurs.
Parcelle de cacao test pour un essai de biofertilisant à la SCEB en Côte d'ivoire
L’association avec des bokashi, matières organiques et des minéraux fermentés
Les producteurs associent ces recettes à des matières organiques pour dynamiser les sols. Ils travaillent ainsi en simultané l’apport de végétaux, de matières organiques et de minéraux car ces matériels sont interdépendants dans leurs fonctionnements.
Ces engrais, appelés Bokashi, sont fermentés. La matière organique crue peut être en effet dangereuse pour les sols et les plantes quand elle est enterrée directement. Pour répondre à ce problème, les mélanges organiques/minéraux sont fermentés et pré-décomposés avant d’être utilisés dans les cultures. Le bokashi permet rapidement d’améliorer la structure des sols et sa fertilité.
Biofertilisants liquides
Les biofertilisants liquides (« bioles » en espagnol) sont une autre source de minéraux et oligo-éléments pour les plantes. Ils sont élaborés à partir d’une recette similaire à celle des cocktails de micro-organismes des forêts primaires. A nouveau, l’économie est importante : le coût par hectare est de 4,6 € en comparaison aux 80-140 €/hectare d’un produit bio du commerce.
Bio-protecteurs
Les principes actifs antibiotiques ou répulsifs des plantes sont essentiels dans le contrôle des maladies et des parasites. Divers bio-protecteurs sont réalisés à partir de fermentation avec des méthodes et des coûts similaires aux biofertilisants. Les plantes utilisées changent selon la zone où se trouve la fabrique communautaire, faisant appel aux ressources et connaissances traditionnelles des producteurs.
Préparation du matériel végétal pour la biofermentation
Préparations minérales
Il s’agit des réactions chimiques de minéraux ou sulfates naturelles en milieu liquide. Elles sont pour la majorité réalisées à froid comme notre bouillie bordelaise, et certaines à hautes températures comme le polysulfure de calcium. Ces préparations entièrement naturelles sont souvent utilisées pour contrôler les fortes maladies. Elles ont cependant un impact sur les êtres vivants et sont à utiliser avec beaucoup de précautions autant pour les plantes, les sols que pour les producteurs eux-mêmes.
Facteurs limitant la création de biofabricas
L’usage des biofertilisants implique une validation avant utilisation des recettes par les organismes de certification de l’agriculture biologique comme Ecocert, BCS, etc… L’organisation de producteurs se doit également de gérer les stocks et de documenter les ventes aux producteurs. Les démarches administratives pour homologuer les recettes sont parfois compliquées pour les premières organisations qui les réalisent. Cependant, elles tracent des voies qui faciliteront le travail de beaucoup de producteurs à l’avenir.
Par ailleurs, ces nouvelles pratiques peuvent susciter des doutes de la part des producteurs vis-à-vis du travail à fournir. Lors des formations avec les organisations paysannes, nous expliquons clairement les coûts et bénéfices liés à la fabrication des biofertilisants.
L’utilisation de parcelles écoles et la sensibilisation des techniciens des coopératives sont essentielles pour démontrer la simplicité de fabrication et d’utilisation ainsi que les gains obtenus en termes d’économies réalisées, d’autonomie gagnée et d’augmentation des rendements.
Les fabriques de biofertilisants sont pourvues à un bel avenir, ils ont déjà prouvé les effets positifs sur les organisations de producteurs, notamment chez COMSA au Honduras et Sol y café au Pérou.
Les biofertilisants ne sont pas la solution. Ils font partie d’une solution qui associe des techniques de conservation des sols, d’amendements de matières organiques, de diversification et rotations des cultures.