Vanille et bois de rose poussent dans la même région, le nord-est de Madagascar. La vanille y est d’autant plus précieuse qu’elle sert à blanchir l'argent du bois de rose illégal. La spéculation vertigineuse autour de l’épice laisse un goût amer : écocide, insécurité…
Ce fléau aux retombées dramatiquement multiples nous oblige à stopper la vanille de la coopérative FANOHANA.
Notre organisation partenaire a décidé de ne plus collecter de vanille lors de la dernière récolte en juin 2017. D’un commun accord, nous avons cessé nos achats. Non pas à cause du niveau de prix puisque nous avons répercuté la hausse depuis trois ans, mais bien pour des raisons de sécurité.
L’organisation continue de collecter et de nous exporter les autres produits de ses producteurs : cannelle, citronnelle, gingembre, baies roses, litchi, ananas. Grâce à cette stratégie de diversification, les 557 membres de la coopérative que nous appuyons depuis 2008 ont plus de chance de passer cette période difficile.
Les 9 produits ETHIQUABLE qui offrent des débouchés pour les récoltes de FONOHANA en dehors de la vanille : les litchis, les ananas, le gingembre et la citronnelle et les baies roses
Bois de rose : entre mafia ultra lucrative et écocide
Le bois de rose est une essence de bois rare à croissance très lente - elle met près de cent ans à se développer.
Elle est interdite de coupe, de transport et d'exportation à Madagascar depuis 2010. Depuis 2016, ce bois précieux à la couleur si recherchée fait l’objet d’un embargo international contre son commerce.
Dans le nord-est de Madagascar, le bois de rose continue d’être illégalement abattu et acheminé clandestinement vers son marché principal, la Chine - pour la confection de marqueterie de luxe. La coupe et l'exploitation de l’essence y sont interdites depuis 1998.
Depuis des années, c’est toute une économie mafieuse et bien huilée qui s’est mise en place.
L’incapacité de l’Etat à agir – certains parlent d’Etat gangréné - milite en faveur du développement de tels trafics en dépit des pressions internationales. La mobilisation de la société civile n’a aucune prise. Un militant malgache, héros de la dénonciation du trafic, avouait au Monde en 2015 : « Nous avions rêvé de justice. Nous avions imaginé qu’il suffirait de les nommer, que la honte les ferait reculer. Nous avons pour l’instant échoué ».
Car ce commerce est très lucratif : un tronc peut se négocier jusqu’à 4 000 euros et des centaines de millions de dollars sont en jeu.
Le pillage qui en découle dépouille peu à peu une forêt classée au Patrimoine mondial de l’Unesco. L’espèce pourrait même disparaître dans un futur proche.
La vanille ou comment masquer les fortunes mal acquises
Les trafiquants cherchent tous les moyens pour blanchir les fortunes issues de ces opérations illégales. Après plusieurs secteurs de l’économie réelle, la filière vanille est devenue la cible des trafiquants.
Ils n’ont pas eu à chercher très loin : le bois de rose est présent dans les mêmes zones de culture et de traitement que la vanille.
L'argent illicite du trafic de bois est ainsi "réinvesti" dans le commerce légal de la vanille, ce qui alimente la spéculation sur cette épice.
Le prix du kilo de vanille verte au producteur bord champ est passé de 6 euros/kg au début de la campagne 2014, à 60€/kg actuellement. Une multiplication par 10 qui à la longue bouleverse les pratiques et déstabilise la filière toute entière.
Dans un premier temps, sont apparus des collecteurs "indépendants" dotés de moyens financiers importants leur permettant d'acheter des volumes conséquents de vanille et de les stocker, puis de les proposer aux exportateurs de l’île. Ce qui a fait flamber le prix de la vanille. Cette flambée a ensuite attiré des spéculateurs dotés de trésorerie étrangement importante. Le mécanisme spéculatif est désormais bien installé sans que l’on puisse entrevoir comment le stopper.
Les petits producteurs ont vu initialement d’un bon œil ces prix d’achat exceptionnellement hauts. Mais les revers de la médaille assombrissent sévèrement cet effet d’aubaine.
Insécurité ambiante et récoltes trop précoces
La gestion des budgets familiaux devient difficile avec des opportunités de dépenses multipliées à outrance dans les campagnes : matelas, motos, smartphones… Cette rentabilité ponctuelle demande d’accompagner la gestion de ces nouvelles ressources, d’inciter à épargner et à ne pas “flamber” l’argent.
Yolande productrice de vanille, membre de la coopérative FANOHANA, novembre 2016
L’insécurité dans les champs de vanille et sur les lieux de stockage ou de transformation de la gousse est plus qu’avérée. La plupart des producteurs de FANOHANA sont dorénavant obligés de loger dans leur parcelle afin de se protéger des vols.
De nombreuses attaques avec violence ont été relatées.
L’an dernier, la coopérative, notre partenaire à Madagascar depuis 2008, a dû recruter trois militaires pendant 9 mois pour protéger le stock de vanille en préparation pour ETHIQUABLE. Le risque d’attaque est permanent.
Pour prévenir tout vol dans leur parcelle et profiter de la hausse des prix, les producteurs sont tentés de récolter la vanille verte de plus en plus tôt. La cueillette arrive dès le mois de mars alors que la vanille est à maturité 3 mois plus tard, en juin. Le long et méticuleux travail de préparation de la gousse - échaudage, étuvage, séchage au soleil et à l'ombre - est réalisé sur des vanilles immatures qui présentent au final un taux de vanilline très bas, soit une qualité médiocre.
Quel avenir ?
La coopérative FANOHANA et Stéphane, notre agronome qui suit les projets malgaches depuis Tamatave, suivent l’évolution de la filière de très près en tentant de contenir les risques.
La situation est désormais intenable pour prétendre assurer des conditions viables d’un commerce équitable de vanille bio de qualité.
FANOHANA et ses 557 producteurs ont pourtant « plus de chance » de passer ce cap. Notre projet d’appui à la coopérative s’articule autour d’une stratégie de diversification des cultures, donc des débouchés. Nous avons commencé par importer des litchis en 2008, puis des épices (cannelle, citronnelle, gingembre) jusqu’aux ananas en 2016. Cette diversité assure un « matelas » financier en cas de souci sur une filière, elle garantit également des systèmes de cultures avec une fertilisation des sols importantes.
La filière vanille malgache dans son ensemble emploie directement 200.000 personnes, dont plus de 80 000 producteurs éparpillés et peu structurés autour d’organisations paysannes. L’île fournit, à elle seule, 80 à 85% de la production mondiale avec 192 millions de dollars générés en exportations en 2015.
En raison de sa rentabilité actuelle, beaucoup se tournent vers des arômes de vanille de synthèse. Et des pays comme le Vietnam, l'Inde et l'Indonésie s'intéressent de nouveau à la production de vanille. Il faut compter environ cinq ans pour réaliser une première récolte. Une telle concurrence porterait un coup dur à Madagascar, sans compter les dommages encourus d’ici là.