Meilleur revenu pour les paysans, développement de la valeur ajoutée sur les fermes, intensification des pratiques agro-écologiques, installation de jeunes agriculteurs. Les indicateurs sont au vert pour les 18 groupements de producteurs (environ 1400 fermes) partenaires de Paysans d’ici, démarche de commerce équitable que nous avons initiée en 2011.
A l’occasion de ses 10 ans, nous partageons les enseignements de cette décennie de commerce équitable en France pour accompagner les dynamiques paysannes, nourrir une agriculture bio, résiliente, autonome, actrice d’une véritable transition écologique...
... alors que le ferme France peine à trouver une sortie de crise.
Écouter le podcast de la conférence
Avec Cyrille Moulin, producteur des Monts du Lyonnais d'Etic'Monts Bio
Céline Peloquin, productrice de céréales et de légumineuses en Charente des Fermes de Chassagne
Jean-Paul Hignet, producteur de fruits, légumes et sarrasin, membre des Greniers Bio d'Armorique
Adrien Brondel et Christophe Eberhart de la Scop Ethiquable
Les pannes du modèle agricole français
Quel état des lieux dresser de la ferme France ?
Marc Dufumier, agronome spécialiste de l'agroécologie et enseignant-chercheur, livre sa vision, que nous faisons nôtre, dans une excellente interviewée publiée dans Ouest-France (lire l'article).
"Il est assez dramatique. Les paysans ont un revenu faible, ils sont très endettés. Le taux de suicide est supérieur à celui des autres professions. Les filières de l’agriculture industrielle, poudre de lait ou poulets bas de gamme, sont en situation d’échec. Elles ne peuvent pas être compétitives sur le marché mondial face à des exploitations de plusieurs milliers d’hectares. La France est déficitaire en protéines végétales et dépend de l’importation de soja transgénique. La spécialisation excessive entre régions d’élevage et de grandes cultures entraîne des dégâts environnementaux. Sur le plan de notre alimentation, nous pouvons nous inquiéter de l’antibiorésistance et des résidus de pesticides. On découvre que le lait ou le pain pas cher nous coûtent en réalité très cher."
Côté rémunération, la loi Egalim fait chou blanc. La valeur ajoutée ne ruissèle pas jusqu’aux producteurs.
Petit résumé : les États généraux de l’alimentation (EGA) en 2017 posent un constat sans appel : il faut payer les produits agricoles au juste prix. Ce grand chantier de réflexions aboutit à l'automne 2018 à la loi EGalim, dont le propos est de mieux répartir la valeur tout au long de la chaîne alimentaire, entre agriculteurs, industriels et distributeurs.
Un sénateur compare ainsi la loi EGalim à « une petite cascade où l’eau n’aurait pas coulé »
Trois ans plus tard, l’immense espérance que les États généraux de l’alimentation avaient fait naître dans le monde agricole, laisse les paysans sur leur faim. Le réveil est douloureux. Les agriculteurs continuent de dénoncer l’échec de la loi Egalim, qui devait leur garantir une meilleure rémunération. Selon un rapport sénatorial de 2019, la loi Agriculture et alimentation n’a pas permis d’accroître le revenu des agriculteurs. Un sénateur compare ainsi la loi EGalim à « une petite cascade où l’eau n’aurait pas coulé ».
Côté environnement, le compte n'y est pas.
Objectifs de conversion en bio à moitié atteints, retard sur le versement des subventions et une agriculture conventionnelle qui, malgré les annonces, ne parvient pas à freiner l’utilisation des produits phytosanitaires... Alors que le plan Ecophyto de 2008 prévoyait de réduire de 50 % l’usage des pesticides pour 2018, la consommation française a augmenté de 25% entre 2009 et 2018, selon le Ministère de l'agriculture.
Le plan Ecophyto est un échec indéniable selon Que Choisir
Un échec indéniable, selon Que Choisir. L’association de consommateurs explique, selon le site Eco CO2, que ces progrès sont « incontestables mais ne sauraient masquer l’échec indéniable dans le domaine agricole » car « Les 200 millions d’euros accordés chaque année à la conversion en agriculture biologique ne sont par exemple qu’une goutte d’eau face aux 9 milliards d’euros versés chaque année au titre de la PAC (politique agricole commune), très majoritairement aux agriculteurs accros aux pesticides. Sans changement radical imposé à l’agriculture intensive et productiviste, l’utilisation massive de pesticides ne peut que perdurer, plans Ecophyto ou pas. »
Des réponses avec Paysans d'ici
Bien évidemment, il ne s'agit pas de penser que le commerce équitable est à lui seul capable de résoudre toute la crise du modèle agricole français, ni de donner des leçons. Il s'agit de se pencher sur les expériences des groupements de producteurs depuis 10 ans à nos côtés et de voir si les outils du commerce équitable produisent des effets positifs (en un temps relativement court).
Des groupements de producteurs aux manettes
COMMENT PESER SUR LA FILIÈRE ET LE TERRITOIRE SI LES PRODUCTEURS NE SONT PAS ORGANISÉS ?
La condition principale est, pour nous, que des groupements de producteurs soient aux manettes. Notre définition du commerce équitable repose sur des groupements de producteurs exclusivement.
Un collectif avec des valeurs coopératives et démocratiques crée des dynamiques économiques sur les territoires. L’action collective renforce l'indépendance face aux acteurs de l’aval.
Nous faisons le choix de construire des filières avec des organisations de producteurs, et non avec des producteurs individuels. L’action collective permet de créer de la valeur ajoutée en investissant dans des outils de transformation collectif. Les producteurs ne fournissent plus seulement des matières premières, ils proposent des produits finis et valorisent au mieux leurs productions.
En 10 ans, les groupements de producteurs ont créé 8 ateliers de transformations : Etic'Monts Bio, Monts du Lyonnais : atelier de transformation de fruits en confiture et purée, Fermes de Chassagne, Charente : atelier de conditionnement des légumineuses, Grenier Bio d'Armorique, Bretagne : moulin à meule de pierre pour la farine de sarrasin et atelier de trituration pour l'huile de colza, Paysans du Rance, Aveyron : atelier de transformation de châtaigne en crème, Biocer, Normandie : moulin pour la farine de seigle, Qualisol, Gers : équipement de conditionnement des farines et légumineuses,... Aujourd'hui, 87% des produits de Paysans d'ici sont entièrement réalisés au sein des organisations partenaires.
Direction les Monts du Lyonnais avec le groupement Etic'Monts Bio. Notre relation débute en 2013 avec la commercialisation d'une confiture de groseille alors que les 3 producteurs de la coopérative s'apprêtent à arrêter leurs plans de groseiller, faute de débouchés. Depuis, 7 autres produits autour des petits rouges (fraises, framboises...) ont vu le jour sous l'étiquette Paysans d'ici. Le commerce équitable en soutenant un groupe de paysans redynamise une culture en voie d'abandon sur, ce qui est poutant, le terroir d'excellence des petits fruits rouges. Le groupement s'appuie aujourd'hui sur 10 fermes avec l'installation de jeunes. En 2018, Etic'Monts Bio ouvre un atelier de transformation de fruits en confiture et en purée à Aveize. 5 emplois sont créés sur les fermes et à l'atelier de transformation.
Un marché sécurisé pour construire l’avenir
COMMENT S'ENGAGER DANS LA BIO SI LES PERSPECTIVES SONT CHANGEANTES ?
Un prix rémunérateur sécurisé par contractualisation dans la durée (3 ans minimum) est au cœur de la démarche Paysans d’ici. Une mécanique engagée qui permet aux organisations de producteurs d’avoir de la visibilité, de conforter leurs trajectoires et leurs projets. Elles peuvent prévoir les mises en culture sur le long terme et investir dans des outils de transformation créateurs de valeur ajoutée dans les fermes. Pour soutenir ces projets, les groupements de producteurs doivent pouvoir compter sur un engagement des metteurs en marché comme des consommateurs dans le temps.
"Aujourd’hui, on peut produire et mettre en culture car on a des contrats sur 3 ans. Nous avons pu aussi investir dans un bâtiment de stockage et dans notre outil de production grâce à ces perspectives". Marc Mirabel de la sica Viva Plantes, Vals-les-bains, Ardèche
Un prix juste calculé sur les coûts de production
COMMENT S'ENGAGER DANS UNE BIO RÉELLEMENT PORTEUSE DE CHANGEMENT SI LES PAYSANS N'ONT PAS LES MOYENS DE LA METTRE EN OEUVRE ?
Un prix équitable calculé sur les coûts de production vise une rémunération juste du travail paysan. C'est aussi un moyen de relocaliser la production de culture qui souffre de la concurrence mondiale.
Pour le mesurer, direction l'Ille-et-Vilaine avec les Greniers Bio d'Armorique, la 1ère coopérative de céréales et oléagineux 100% bio en Bretagne et ses 42 producteurs membres qui maintiennent des fermes diversifiées, associant grandes cultures et élevages.
Si le sarrasin est une culture emblématique bretonne, il est en net recul dans les parcelles. Il donne des rendements bien inférieurs à ceux du blé et sa culture est risquée. Ses rendements peuvent fortement varier de 0 à 1T/ha selon les conditions climatiques. Sans prix équitable, difficile de s'y aventurer. Pour preuve : plus de 85% du sarrasin consommé en France est importé.
Plus de 85% du sarrasin consommé en France est importé.
La question centrale : le prix payé aux producteurs pour la culture emblématique bretonne.
Cultiver le sarrasin est pourtant très positif en agriculture bio. Sa culture ne demande pas d’engrais ou de produits phytosanitaires. Elle a un impact bénéfique pour les cultures suivantes en empêchant la prolifération des mauvaises herbes grâce à un bon effet couvrant. Un prix équitable, supérieur de 60% au prix conventionnel, remplit une double fonction : relocaliser une production et dynamiser des pratiques agro-écologiques.
Le prix équitable permet aussi d'accélérer les conversions à l'agriculture biologique. Penser l’agriculture de demain et imaginer les pratiques écologiques les plus adaptées à un contexte est une chose. Avoir les moyens de les mettre en œuvre en est une autre.
Dernière étape : le Gers avec la coopérative Qualisol. Située à Montfort, à 20 km du siège social de notre Scop, QUALISOL est une organisation historique dans la région. Elle rassemble des producteurs de céréales et de légumineuses cultivant sur des fermes de tailles petites à moyennes.
En 2004, Qualisol fait le pari du bio et accompagne ses adhérents dans leur démarche de conversion grâce au soutien du commerce équitable. La coopérative forme des producteurs aux techniques agro-écologiques : apport d’azote dans la rotation des cultures, faux semis, non labour, couvert végétal, lâchers de parasitoïdes... En trois ans, les 350 producteurs certifiés agriculture biologique sont devenus 450.