deux coopératives majeures qui pèsent
sur ce marché témoignent
La période est critique. Si, à très court terme, les producteurs profitent de l’envolée des cours du cacao, des dangers réels pèsent sur la survie de leur organisation collective.
Les coopératives de producteurs qui manquent de liquidités dans un contexte attentiste des acheteurs, sont dans l’incapacité de résister à la concurrence exacerbée sur le terrain pour collecter le cacao. Sans volume de cacao à vendre, leur existence et leur poids dans des filières sont remis en cause. Des années de travail des organisations paysannes pour un cacao de qualité sans exploitation environnementale ni sociale sont dans la balance.
À leur niveau, les producteurs pourraient être tentés de ne plus investir dans l’agriculture bio, plus contraignante et plus coûteuse. Une marche arrière qui signerait le grand retour des herbicides, des pesticides et engrais de synthèse avec des tensions à venir sur les volumes disponibles de cacao bio.
Abel Fernandez, responsable commercialisation de la CONACADO, coopérative emblématique et historique du commerce équitable basée en République dominicaine
& Eduardo Espinoza, agronome responsable du cacao pour la coopérative NORANDINO, au Pérou témoignent.
Les producteurs bénéficient de la hausse des prix mais leurs organisations sont en danger
Dans les pays au marché du cacao non-régulé – hors Côte d’Ivoire et Ghana où l’État intervient avec un prix fixé pour limiter les impacts de la spéculation – l’envolée des cours internationaux du cacao bénéficient aux producteurs.
Au cours du mois d’avril 2024, lorsque les cours internationaux étaient à 10 000 USD /tonne, les prix payés aux producteurs sont montés jusqu’à 10 300 USD/T (21 avril 2024 Pérou), soit 3 fois plus qu’en septembre 2023.
Après sept ans de prix très bas, largement en-dessous du revenu décent, les producteurs peuvent couvrir les coûts de production, faire vivre décemment leur famille et surtout recapitaliser. Par expérience, ils savent parfaitement que ces périodes de cours hauts ne durent jamais très longtemps. Ils utilisent cette manne ponctuelle pour améliorer leur habitat, acquérir une moto ou encore acheter de la terre.
Les producteurs ont de nombreuses demandes. Je pense que plusieurs améliorent maintenant leurs cultures car ils voient que le prix est attractif, ils investissent dans leurs exploitations, principalement en matière d'engrais.
Eduardo Espinoza
Les coopératives sont, elles, inquiètes sur leur pérennité économique. Elles sont contraintes de diminuer leurs volumes de collecte car
- Elles n’ont pas les fonds financiers suffisants pour collecter,
- Leurs acheteurs habituels ne s’engagent pas ou reportent leurs achats en espérant une baisse des cours
- Elles ne peuvent pas prendre des risques trop élevés dans cette période de spéculation en achetant très cher aujourd’hui et en devant vendre demain en-dessous du prix d’achat si le marché s’effondre.
Les coopératives de commerce équitable pourraient même renoncer à collecter le cacao si les prix élevés se maintiennent longtemps.
La coopérative FONMSOEAM en Équateur a d’ores et déjà dû prendre la décision d’arrêter d’acheter du cacao à ses membres, laissant les producteurs vendre directement aux intermédiaires locaux.
Les producteurs sont tentés, de toute manière, de vendre à ces collecteurs qui travaillent pour le compte de grands groupes. Eux, disposent de liquidités et ont la capacité de payer à un prix élevé au comptant, sans imposer les contraintes de la coopérative en termes de traçabilité, d’agriculture biologique et d’exigences de qualité (fermentation, séchage et tri des fèves). Les producteurs, qui peinent à s’en sortir avec des revenus tout juste décents depuis plusieurs années, ne peuvent passer à côté d’une telle opportunité.
Une production bio menacée par un retour à des pratiques chimiques et une baisse de l’exigence aromatique
À quoi bon investir du temps dans les parcelles, s’astreindre à des pratiques bio alternatives et à des règles contraignantes de traçabilité et de qualité quand, quelque que soit la qualité de la récolte, le prix atteint des records vertigineux ?
Ce travail implique un surcoût payé par les coopératives bio qui couvrent les coûts additionnels de la bio et de la qualité. Ce surcoût doit être versé aux producteurs même lorsque les cours internationaux sont très élevés. Une tension supplémentaire pour les coopératives qui doivent renchérir à des prix déjà très hauts.
900 $/T du plus que le marché, c’est le coût additionnel évaluée par Abel Fernandez pour maintenir la bio et la production de cacao de qualité sur son marché en République dominicaine.
Les acheteurs des filières traditionnelles n’ont pas à supporter ces coûts avec une fermentation approximative des fèves, voire pas de fermentation du tout, sans besoin d’un respect strict de la traçabilité comme l’exige le cahier des charges bio.
"Le maintien de la production biologique implique un véritable coût, plus élevé. Elle implique un système de contrôle sur le terrain par des techniciens agricoles. Par ailleurs, parvenir à produire un cacao de qualité différente implique également des investissements dans les infrastructures. Donc tout cela justifie un prix supérieur, un différentiel de prix qui n’est pas exactement un cadeau, c’est une nécessité pour couvrir un véritable coût."
Abel Fernandez
Ce montant supplémentaire de 900 $/T correspond à des coûts réels pour maintenir une filière bio et de qualité :
• Suivi d’un processus de fermentation et de séchage beaucoup plus rigoureux et soigné pour garantir un profil aromatique optimal, et l’absence de défaut comme les moisissures
• Système de traçabilité des lots des parcelles à l’embarquement et visites de chaque parcelle par les techniciens de la coopérative
• Coûts plus élevés dus au temps manuel passé pour le désherbage, la préparation d’engrais bio
Je pense que la production biologique sera effectivement à un niveau de risque élevé. Maintenant que les prix ne différencient pas bien la qualité et ne différencient pas la production biologique.
Eduardo Espinoza
Cette évolution porte à croire que nous allons vers une relative pénurie du marché bio et de qualité dans les périodes à venir.
20 ans de travail des organisations de producteurs mis en péril ?
Cette situation exceptionnelle met en lumière les risques qui pèsent sur l’avenir de filières bio de qualité.
La hausse des cours du cacao ne bénéficiera pas dans la durée aux producteurs de cacao. Il s’agit d’un « mirage » ponctuel d’un marché qui, d’ordinaire, explique que les cours du cacao, bien qu’inférieur au revenu décent, ne peuvent pas augmenter.
En cas de retour à la « normale » et de baisse des prix, quels acteurs accepteront de payer des prix plus élevés permettant aux producteurs de couvrir le seuil de vie durable, estimé à 5000 US/tonne payé à la coopérative dans les conditions actuelles d’inflation.
Les acteurs du commerce équitable comme la SCOP ETHIQUABLE maintiennent des prix qui garantissent le revenu décent aux producteurs.
Aujourd’hui, plus que jamais, les consommateurs doivent rester mobilisés et acceptés de payer le prix d’un cacao pérenne pour permettre aux milliers de producteurs et leurs structures coopératives de poursuivre le travail de qualité qu’ils ont construit.
Le commerce équitable reste aujourd’hui un appui indispensable pour soutenir les organisations de producteurs, première victime de ces cycles de fluctuation des prix.
À propos de
Abel Fernandez est le Responsable de commercialisation de la CONACADO, une coopérative emblématique et historique du commerce équitable, pionnière du cacao biologique. Elle réunit 7000 producteurs de cacao et exporte environ 15 000 tonnes de cacao bio chaque année soit 20% de la production du pays. CONACADO commercialise du cacao auprès des entreprises de commerce équitable ou les petits chocolatiers, mais aussi aux géants de l’industrie du cacao. Abel Fernandez a donc une vision large du marché.
Eduardo Espinoza , est l’agronome responsable du cacao pour la coopérative NORANDINO, une coopérative leader du café et du cacao au Pérou. NORANDINO représente 6500 producteurs dont 1500 producteurs de cacao. Eduardo Espinoza est l’initiateur des cacao Piura Blanco. Il est lui-même producteur de cacao et compose les lots d’exportation pour les différents acheteurs du bean to bar jusqu’aux couverturiers industriels.